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L'intellectuel fatigué résume les difformités et les vices d'un monde à la dérive. Il n'agit pas, il pâtit; s'il se tourne vers l'idée de tolérance, il n'y trouve pas l'excitant dont il aurait besoin. La terreur, elle, le lui fournit, de même que les doctrines dont elle est l'aboutissement. En est-il la première victime? Il ne s'en plaindra pas. Seule le séduit la force qui le broie. Vouloir être libre c'est vouloir être soi, de cheminer dans l'incertain, d'errer à travers les vérités. "Mettez-moi les chaînes de l'Illusion", soupire-t-il, tandis qu'il dit adieu aux pérégrinations de la Connaissance. C'est ainisi qu'il se jettera tête baissée dans n'importe quelle mythologie qui lui assurera la protection et la paix du joug. Déclinant l'honneur d'assumer ses propres anxiétés, il s'engagera en des entreprises dont il escomptera des sensations qu'il ne saurait puiser en lui-même, de sorte que les excès de sa lassitude affermiront les tyrannies. Églises, idéologies, polices, cherchez-en l'origine dans l'horreur qu'il nourrit pour sa propre lucidité plutôt que dans la stupidité des masses. Cet avorton se transforme, au nom d'une utopie de jean-foutre, en fossoyeur de l'intellect, et, persuadé de faire oeuvre utile, prostitue l' "abêtissez-vous", devise tragique d'un solitaire.Cioran - La tentation d'exister
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